Facebook.

Voilà sans doute l’invention technologique la plus révolutionnaire pour le progrès de l’humanité. Enfin, présentée comme telle. Il faut croire que c’est vrai, car des centaines de millions, et bientôt des milliards, de personnes l’ont déjà adoptée dans le monde. Puisque tout le monde l’utilise ça veut bien dire que c’est utile, voire indispensable.

 Facebook, qu’est-ce que c’est ? C’est un réseau social. C’est-à-dire un réseau qui devrait permettre aux gens de se « socialiser » plus facilement grâce à la technique. Dans le principe, c’est parfait, puisqu’on peut se connecter avec tous ses amis en même temps, discuter en temps réel même s’ils sont à l’autre bout du monde.

Sur la dimension « réseau », pas de problème. Facebook offre une solution technique très perfectionnée. Sur la dimension sociale, en revanche, on devrait sérieusement se poser des questions, et même se demander si Facebook n’est pas destructeur de lien social.

Se socialiser, qu’est-ce que c’est ?

C’est notamment rencontrer les autres et discuter avec eux

Par exemple leur raconter ce qu’on a fait pendant les vacances, avec moult détails. Décrire le dernier film qu’on a vu ou le dernier livre qu’on a lu, en expliquant ce qui nous a plu ou déplu. Expliquer à sa copine qu’on a IMPERATIVEMENT besoin de cette nouvelle paire de chaussures, parce que parmi les 80 paires qui sont déjà rangées dans l’armoire, il n’y en a pas une qui est assortie parfaitement à la petite robe rayée sur laquelle on vient de craquer. Ou expliquer à son copain qu’on songe sérieusement à passer du V6 2,4L au 2,8L parce que la seconde manque terriblement de reprise quand on a besoin de donner un bon coup d’accélérateur pour doubler ce foutu tracteur qui se traîne devant nous. Parler du temps qui est prévu pour le prochain week-end. Exprimer des opinions. Les défendre. Découvrir celles des autres. Les confronter. Essayer de les faire converger. Ou pas…

Et sur Facebook. Qu’est-ce qu’on fait ?

On consulte les rappels d’anniversaire par exemple. C’est vrai, tout le monde reconnait que c’est une fonctionnalité très pratique. Comme ça on n’oublie pas de les fêter. Mais ça, ça ne s’appelle pas un réseau social. Ca s’appelle un calendrier. On m’objectera qu’avec Facebook, on peut envoyer un message pour souhaiter l’anniversaire. Soit. D’ailleurs, généralement, 2 mots suffisent : « Joyeux » et « Anniversaire ». Un peu comme si vous appelez un copain au téléphone, et quand il décroche, vous lui dites : « Salut, Joyeux Anniversaire ». Et vous raccrochez. Sympa…

Qu’est-ce qu’on fait d’autre sur Facebook ? Ah oui, on peut publier des photos. D’ailleurs, en général, pas besoin de mettre une légende ou un commentaire. Les gens qui vont regarder la photo vont très bien comprendre qu’on est en train de se dorer la pilule sur la plage, ou en train de siroter un Coca à la terrasse du café Notre-Dame. Mais ça, ça ne s’appelle pas un réseau social. Ca s’appelle un album photo.

Quoi d’autre… ? On peut installer une appli sur son I-Phone et publier un message qui précise qu’on vient de finir un Run en 1h 23 minutes et 38 secondes, qu’on a battu notre meilleure performance, et qu’on a brûlé 4.857 calories. Enfin, nous on ne publie rien, hein, c’est le smartphone qui fait ça tout seul (normal, il est parfois bien plus intelligent que nous, ce smartphone). Mais ça, ça ne s’appelle pas un réseau social. Ca s’appelle du narcissisme.

Mais alors, qu’est-ce qu’on peut bien faire de « social » sur FB ???

Vous voulez connaitre la réponse ? On PARTAGE.

Mais attention, on ne partage pas ses pensées, on ne partage pas ses propos, on ne partage pas ses idées. Trop risqué. Les autres risquent de découvrir qui on est.

Vous en connaissez beaucoup des gens qui écrivent des textes sur FB pour expliquer ce qu’ils pensent, ce qu’ils ressentent, pourquoi ils sont contents ? Moi pas. A part quelques rares qui se risquent de temps à autre à livrer une réflexion un brin approfondie (je pense en faire partie), on ne se livre pas sur Facebook. On ne se partage pas. OK pour #VivreEnsemble, mais pas trop quand même…

Au fait, c’est quoi une réflexion approfondie ? Pour schématiser, on pourrait considérer que c’est une phrase qui dépasse 140 caractères. Soit le maximum autorisé par Twitter, l’autre invention géniale des dernières années pour socialiser les gens…

Qu’est-ce qu’on partage, alors ? On partage les pensées des autres et les propos des autres. Un dessin par-ci, un lien vers un article par là. On partage des idées qui ont été produites par les autres. Vous me direz, partager les idées des autres, c’est une manière de partager ses propres idées. A la rigueur. Mais le problème, c’est qu’on n’explique pas pourquoi on partage ! On ne prend pas la peine de dire si on partage parce qu’on trouve ça joli, parce que ça nous a ému, parce qu’on est d’accord (ou pas d’accord) ou parce que ça nous dégoûte.

Inutile d’expliquer, les amis qui reçoivent la publication sur leur mur Facebook n’ont qu’à se démerder avec. A eux de deviner pourquoi vous avez partagé… Un peu comme si vous rameniez le dernier Goncourt à votre belle-mère, que vous le posiez sur sa table de salon, et que vous vous tiriez sans un mot. La pauvre est toute décontenancée : elle doit en faire quoi du bouquin ? Le lire ? Le mettre à la poubelle ? Le ranger dans un placard ? L’offrir à la bibliothèque du quartier ?

Alors on partage. Plein de choses. Un peu tout et n’importe quoi, à tort et à travers.

Et un jour, c’est le drame. On partage…  et aucun de nos amis ne réagit. Pas de commentaire, pas de Like. Rien. Le silence. Et là, un doute immense s’installe.

On cherche une explication. Il y a un problème technique chez Facebook qui n’affiche pas mes publications ? Ce que j’ai publié n’intéresse pas mes amis ? Ou pire… Je n’ai plus d’amis… ??? Généralement, on se rassure en choisissant la première option : c’est la moins frustrante. Mais la vérité réside souvent dans la seconde. Ce qu’on a publié n’a pas été jugé digne de suffisamment d’intérêt par nos amis pour générer une réaction chez eux. Waouh : la claque sociale ! Quand on discute avec quelqu’un et que nos propos le barbent, il sait nous le montrer : il regarde sa montre, il baille, mais au moins il nous fait sentir qu’il est temps de changer de sujet. S’il est franc, il nous le dit même en face : « tu me saoûles ! »

Sur Facebook, l’ami disparaît. Il affiche une indifférence désarmante. Et c’est quand même assez difficile de revenir à la charge après, en publiant un message du type « Eh Oh, y a quelqu’un ? » ou « Dites, vous avez vu mon dernier post ? ».

C’est là qu’apparaît la terrible solitude sur le plus puissant des réseaux « sociaux »…

Heureusement, ceci arrive très rarement. Quand on a compris le système, on essaie d’avoir assez d’amis, histoire d’être sûr d’en avoir au moins un ou deux qui réagiront à nos publications. Et ils réagissent, en effet, avec la création la plus géniale – mais aussi la plus monstrueuse – de Facebook. Le « Like ».

Inutile de commenter notre publication pour nous dire ce qu’on en a pensé ou pour nous en remercier, tout simplement. Le « Like » est là pour ça. « Liker », ça peut vouloir dire « j’aime », « ça me fait rire », « je suis d’accord », « merci d’avoir porté cette info à ma connaissance », et bien d’autres choses encore. Liker, ou « +1 » (on a d’ailleurs inventé l’expression « je plussoie », ça laisse rêveur), c’est un peu de tout ça. Ou rien de tout ça. On ne sait pas.

« +1 », ou l’expression nihiliste d’un vague assentiment à quelque chose qui a été écrit ou publié. Même George Orwell n’avait pas osé imaginer cela quand il a écrit son terrifiant 1984. L’expression de la pensée réduite à un chiffre…

On pourrait appeler ça la « social-positivité ». La socialisation de la société ne fait que progresser, puisqu’elle se mesure à l’addition de « +1 ». Pas besoin d’avoir Bac +5 pour savoir que plus on additionne des « 1 », plus le résultat monte. C’est du niveau CP.

Facebook, ou le lien social niveau CP, mais pour les adultes…

Il est monstrueux, ce +1. D’autant plus qu’il illustre à merveille le modèle de pensée à sens unique imposé insidieusement par Facebook. Car Facebook n’offre pas de « -1 ». Le bouton « je n’aime pas » n’existe pas sur Facebook. En tout cas pas encore.

Qui accepterait de vivre dans un pays où les seuls choix possibles seraient d’approuver ou de se taire ? Combien de personnes accepteraient de vivre dans une société où on ne pourrait pas exprimer simplement qu’ « on n’aime pas » ? Je n’en connais pas beaucoup.

Et pourtant, c’est le modèle actuel de Facebook, et tout le monde l’accepte docilement. Il est facile de montrer qu’on aime. Mais pour montrer qu’on n’aime pas, il faut se bouger un peu, et écrire un commentaire. Et comme les gens sont paresseux, ils ne le font pas, ou si peu. C’est ainsi que commence l’extinction de la liberté… Un jour, qui sait si on ne nous supprimera pas le droit de dire qu’on n’aime pas ? On ne verra pas de différence puisqu’on n’exerce déjà plus ce droit. Mais ce n’est pas de notre faute, c’est celle de Facebook évidemment. Puisque le bouton « je n’aime pas » n’existe pas…

On me rétorquera, à juste titre, que de nombreux utilisateurs réclament, depuis des années, la création d’un bouton « je n’aime pas ». C’est vrai. J’ajouterai qu’ils ont bien raison de le faire, et que nous devrions tous le faire. Mais que font-ils, que faisons-NOUS  vraiment pour l’obtenir, ce bouton « -1 » ? Ce bouton qui symbolise la liberté de dire « non » dans l’univers tentaculaire de Facebook ? Pas grand-chose. Rien, en fait. La preuve, c’est que Facebook ne l’a toujours pas mis en place, et que ce réseau diabolique continue pourtant à grandir jour après jour. Dans le genre protestation efficace, on a déjà fait mieux !

Pour toutes ces raisons, il me semble que nous devons être très prudents et sur nos gardes, alors que nous accordons une place toujours plus prépondérante à ce réseau dans la construction nos liens sociaux. Car c’est l’appauvrissement de ces liens sociaux qui fait en réalité l’enrichissement de Mark Zuckerberg, le créateur de Facebook. La véritable valeur-ajoutée de Facebook n’est pas pour nous, petits utilisateurs. Elle est pour lui. Et pour ceux qui, autour de lui, tirent les vrais bénéfices de cet « outil social » révolutionnaire.

Un jour, nous nous réveillerons avec la gueule de bois en réalisant combien nous avons été leurrés par le prétendu « bénéfice social » de cette machine à détruire qu’est en réalité Facebook. Espérons que ce jour-là, il ne sera pas trop tard…

En fait, le principal intérêt « social » de Facebook, c’est quand on n’y est pas. Ca permet d’entamer un vrai échange avec les autres. « Quoi, t’es pas sur Facebook ??? Mais pourquoi ? Tu ne sais pas ce que tu rates ! Attends, je vais t’expliquer. T’as un peu de temps pour qu’on en discute… ?»

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