L’histoire commence lors de l’émission Envoyé Spécial diffusée sur France 2 le jeudi 27 avril 2017. Au sommaire de l’émission figure un reportage, tourné la veille, sur le site de l’usine Whirlpool à Amiens.

A l’issue du reportage, la journaliste Elise Lucet interroge François Ruffin, journaliste et réalisateur du film “Merci Patron !”, récompensé par le César du meilleur film documentaire lors de la Cérémonie des Césars 2017. Défenseur d’un certain protectionnisme économique, François Ruffin a soutenu la candidature de Jean-Luc Mélenchon au premier tour de l’élection présidentielle. Il est aussi candidat aux élections législatives 2017 dans la Somme, élection pour laquelle il bénéficie du soutien du Parti Communiste, d’Europe Ecologie-Les Verts, et des mouvements “La France Insoumise” et “Ensemble”.

Lors de cette interview, Elise Lucet questionne François Ruffin sur son choix de vote pour le second tour de l’élection présidentielle :

Une question si vous pouvez y répondre maintenant. Je ne sais pas encore, parce que peut-être que votre décision n’est pas prise encore. Pour qui vous allez voter, vous, au second tour de la présidentielle ?

Et François Ruffin de répondre notamment :

C’est un peu comme quand vous allez aux toilettes, vous aimez bien fermer la porte. Là, c’est le principe de l’isoloir, c’est qu’il y a un rideau. Parce que c’est quand même pas la première fois que je vais avoir à faire un geste dont je suis pas fier au deuxième tour d’une élection. Néanmoins, quand bien même je glisserais un bulletin Emmanuel Macron dans l’urne, qui n’a pas besoin de ma voix pour être élu parce que je pense qu’il le sera, je serai un opposant ferme à Emmanuel Macron dès le 8 mai au matin.

Ci-dessous la vidéo du reportage, la séquence en question débute exactement à 6’45.

A ce stade, il convient d’apporter une précision sur la signification de l’expression “quand bien même” et son usage. Le synonyme le plus courant de “quand bien même” est “même si” (une recherche Google permet de le confirmer très rapidement). Cette locution conjonctive exprime donc une hypothèse, et à ce titre, elle impose l’emploi du conditionnel, un temps qui exprime une hypothèse. Et conjugué à la première personne du singulier, “glisser” donne “je glisserais” (avec un s), ce qui le distingue du futur “je glisserai” (sans s).

L’Académie Française est d’ailleurs très claire à ce sujet :

Il s’agit d’un renforcement de la conjonction de subordination “quand” lorsqu’elle a une valeur d’hypothèse et signifie « même si ». Rappelons que “quand bien même” est suivi du conditionnel.

Les choses sont donc claires et évidentes pour qui maîtrise la langue française et ses règles. Si François Ruffin avait utilisé “même si” (ou une expression équivalente) au lieu de “quand bien même” (ce qui aurait signifié la même chose), il aurait pu dire :

Même si je glissais un bulletin Emmanuel Macron dans l’urne (…)

ou encore

Même dans l’hypothèse où je glisserais un bulletin Emmanuel Macron dans l’urne (…)

Un journaliste inculte n’a rien compris

Le problème, c’est qu’il y a dans la nature beaucoup de journalistes incultes qui ne comprennent pas grand-chose aux règles et subtilités de la langue française.

En l’occurrence, l’un d’entre eux, en particulier, ne connaît visiblement pas la signification de l’expression “quand bien même”. Il s’agit d’un journaliste à Europe 1.

Journaliste à Europe 1. C’est une expression qui m’a toujours fait sourire…

Sur le site Le Lab d’Europe 1, ce jeune homme aux qualités visiblement limitées cite donc François Ruffin. Mais comme il ignore la signification de “quand bien même” et l’usage du conditionnel, il transforme les propos en

quand bien même je glisserai (…)

Vous avez vu la faute (énorme) ? Du conditionnel, on passe au futur. De l’hypothèse, on passe à un fait établi. Désolé de vous l’apprendre, cher Monsieur Victor Dhollande-Monnier, mais “Quand bien même je glisserais un bulletin Emmanuel Macron dans l’urne”, ça ne veut pas dire “Je glisserai quand même un bulletin Emmanuel Macron dans l’urne”

Et le journaliste de clarifier pour les esprits égarés qui n’auraient pas bien compris : “le réalisateur de Merci Patron a assuré qu’il “glissera un bulletin Emmanuel Macron dans l’urne”“.

Le Lab Europe1 François Ruffin Whirlpool

(source)

Erreur isolée d’un gamin désorienté qui n’a pas été relu par son Rédacteur en Chef ? Que nenni ! L’info est tellement jouissive (pensez donc, le grand François Ruffin, soutien de Mélanchon, qui votera Macron !) qu’Europe 1 en remet une couche sur sa page dédiée à la présidentielle. Quand bien même je glisseraI (sans s).

2 fois la même coquille dans un média de premier plan, ça commence à faire beaucoup.

Europe1 François Ruffin Whirlpool

(source)

En choeur, tous les medias diffusent la même connerie

Le problème avec les médias, c’est que quand il y en a un qui sort une ânerie, tous les autres ont la fâcheuse habitude de la répéter. Comme des moutons.

Libération, cet autre temple de la bien-pensance, sera parmi les premiers à relayer cette fausse analyse. Et à répéter la même faute de grammaire et d’interprétation.

D’où vient l’info ? Pas besoin de chercher très loin, l’auteur de l’article a l’honnêteté de citer ses sources dès la première ligne : “Comme l’a repéré Le Lab,(…)”.

Bon sang, c’est à peine croyable. Cela fait déjà 3 journalistes qui ne savent pas ce que veut dire l’expression “quand bien même” et qui ignorent son usage grammatical. Mais on leur apprend quoi dans les écoles de journalisme ???

Libération François Ruffin Whirpool

(source)

Vous croyez que c’est tout ? Détrompez-vous ! Le Huffington Post, un site bien connu pour son absence de parti pris et pour son objectivité (je m’étrangle…) relaie la même intox, et la même faute…

Le Huffington Post François Ruffin Whirlpool

(source)

On pourrait citer bien d’autres exemples, Yahoo Actualités ou Konbini par exemple.

Evidemment, parmi tous ces pseudo-journalistes qui ne maîtrisent pas les subtilités de la langue française, certains ont – j’en suis convaincu – relevé l’erreur. Mais surtout, hors de question de souligner la supercherie. L’occasion était trop belle de faire le buzz et d’alimenter la propagande pro-Macron qui remplit depuis des mois tous (ou presque tous) les médias Mainstream.

Les Inrocks vont plus loin dans la supercherie

Les Inrocks, autre média réputé pour son respect des règles de déontologie, va évidemment relayer l’info. Mais aux Inrocks, on n’est pas à une saloperie près. Quitte à mentir, le journaliste auteur du torchon (que je qualifierai aimablement d’article) va s’enfoncer encore un peu plus dans le mensonge.

Comment ?

En ajoutant un intertitre baptisé : “Je glisserai un bulletin Emmanuel Macron dans l’urne.”

Vous voyez la grossièreté de la supercherie ? 1ère étape : on transforme la phrase en remplaçant le conditionnel par du futur. 2ème étape : on extrait un morceau de phrase pour en faire un sous-titre, dont le sens n’a plus rien avoir avec le propos d’origine.

Une telle habileté, ça ne relève plus de la connerie ou de l’ignorance. C’est de la manipulation. Car l’internaute Lambda, qui lit l’article en diagonale, ne retiendra que l’intertitre. A savoir que François Ruffin a dit qu’il glissera un bulletin Emmanuel Macron dans l’urne. Ce qui est totalement faux, car François Ruffin n’a jamais dit ça.

Les Inrocks François Ruffin Whirpool

(source)

Et pourtant, devant tant de mépris envers la vérité, on en arriverait presque à trouver des excuses au journaliste des Inrocks. Pourquoi ? Parce que, s’il a triché sur l’intertitre, au moins a-t-il eu l’honnêteté de citer la réponse intégrale de François Ruffin dans le corps de l’article. On trouve dans l’article l’expression “quand bien même”, suivi de la désormais traditionnelle faute de grammaire qui en altère le sens.

Mais d’autres ont osé aller encore plus loin dans le mensonge…

La palme du mensonge revient à l’Express et à Arrêt Sur Images

Au petit jeu de la falsification de la vérité pour diffuser la bien-pensance, L’EXPRESS est un média digne de choix. Pourquoi ? Parce que ses journalistes sont intelligents, et qu’ils poussent la manipulation à son paroxysme. Ce sont donc les plus dangereux.

Exemple de choix avec l’affaire François Ruffin. Comme dans les Inrocks, le journaliste de l’Express insère sournoisement un intertitre intitulé “Je glisserai un bulletin Macron dans l’urne”.

Mais le journaliste de l’Express, lui, est intelligent. Il a vu qu’il y avait un problème de grammaire. Ce journaliste, il a vu que l’interprétation que ses confrères avaient faite de cette phrase était erronée. Ce journaliste, il sait qu’un lecteur érudit, qui maîtrise les subtilités de la langue française, va relever la supercherie.

Alors bon sang, comment faire pour utiliser les propos de François Ruffin à l’avantage de Macron, sans effrayer les érudits, sans révolter les gens intelligents qui essayent de décoder la partialité des pseudo-journalistes ? La réponse est simple : en supprimant les mots qui gênent. Ce “quand bien même”, qui induit la notion d’hypothèse ou de supposition, est-il gênant ? Assurément. Qu’à cela ne tienne, on le supprime.

Le propos d’origine de François Ruffin était (rappelons-le) :

Quand bien même je glisserais un bulletin Emmanuel Macron dans l’urne, (…) je serai un opposant ferme à Emmanuel Macron dès le 8 mai au matin.

Dans l’Express, ce propos devient :

Je glisserai un bulletin Emmanuel Macron dans l’urne, (…) je serai un opposant ferme à Emmanuel Macron dès le 8 mai au matin.

A ce stade-là, on a dépassé le seul cadre de la connerie. On est dans le mensonge absolu, et dans la déformation délibérée de la réalité des faits, dans le seul objectif de manipuler le lecteur. Ce type de procédé mériterait à lui seul un procès et une interdiction d’office pour l’auteur de ce texte d’exercer le métier de journaliste.

Les mots me manquent pour exprimer le dégoût et la révolte qu’a suscité en mois la découverte de cet article propagandiste qui transforme la réalité. Impossible de connaître l’identité de son auteur, L’Express prend bien soin de publier les articles de façon anonyme, afin de protéger ses “menteurs”. Et bien je tente de coup. Si d’aventure l’auteur de l’article en question se retrouvait à lire ces lignes, je lui adresse ce message : Monsieur, vous n’êtes pas un journaliste, vous êtes une ordure. Et idem si vous êtes une femme.

L'Express François Ruffin Whirlpool

(source)

Mais n’allez surtout pas croire que l’Express soit le seul média à se distinguer par sa fourberie et sa capacité à mentir délibérément. Chez Arrêt sur Images, on a aussi des compétences avérées pour déformer la réalité. Chez Arrêt sur Images, on bien compris aussi, comme à l’Express, que les propos de François Ruffin n’avaient rien d’affirmatif, et qu’il ne s’agissait que d’une hypothèse. Alors comment faire ?

A l’Express, on a choisi de supprimer des mots. A Arrêt sur Images, on va encore plus loin : on change les mots !!!

Si, si, vous avez bien lu : on rapporte des propos qui n’ont pas été tenus ! Ça dépasse l’entendement, ça paraît incroyable, inconcevable. Et pourtant c’est la vérité.

Le propos d’origine de François Ruffin était (rappelons-le) :

Quand bien même je glisserais un bulletin Emmanuel Macron dans l’urne, (…) je serai un opposant ferme à Emmanuel Macron dès le 8 mai au matin.

Sur Arrêt Sur Images, ce propos devient :

Quand bien même je vais glisser un bulletin Emmanuel Macron dans l’urne, (…) je serai un opposant ferme à Emmanuel Macron dès le 8 mai au matin.

Sans commentaire supplémentaire. Je n’ai plus assez de vocabulaire pour décrire un acte aussi criminel.

Arrêt sur Images François Ruffin Whirlpool

(source)

On appréciera à sa juste valeur la conclusion de l’article : “De nombreux titres de presse ont immédiatement repris l’information, comme Les Inrocks, Le Figaro, Le Lab d’Europe 1, ou l’Obs.”

Sous-entendu : information largement diffusée par la presse mainstream, donc information vraie. Pas une Fake News comme on en voit trop souvent… LOL

Et François Ruffin, qu’en pense-t-il ?

Bien évidemment François Ruffin n’est pas resté insensible au déchaînement médiatique qui a suivi son intervention lors d’Envoyé Spécial, et à l’interprétation qui a été faite de ses propos.

Sur Twitter, il a clairement remis en cause les propos tenus par la quasi-totalité des medias mainstream, en apportant un démenti :

Tweet François Ruffin

Bien sûr, j’entends déjà les esprits bien-pensants et donneurs de leçon me rétorquer : OK, François Ruffin n’a pas appelé (les autres) à voter Macron, mais il a tout de même dit que lui-même allait voter Emmanuel Macron.

D’ailleurs, pour aller dans le sens de cette objection, il serait tout aussi simple de remettre en cause le raisonnement que je propose dans le présent article, raisonnement qui repose uniquement sur une théorie concernant l’usage de la locution “quand bien même” et du verbe glisser conjugué au conditionnel.

Aux éventuels détracteurs de ces lignes, je recommande vivement de lire le billet rédigé par François Ruffin sur son site de campagne, et en particulier cette phrase sans équivoque :

François Ruffin réaction envoyé spécial Whirlpool

PS : si la signification du mot “conditionnel” vous échappe, l’achat d’un Bescherelle s’impose, et pas seulement pour décorer les rayonnages de votre bibliothèque.

Conclusion(s) :

  • En dépit de toutes les manoeuvres dont les médias mainstream ont fait preuve – y compris la déformation scandaleuse des propos de François Ruffin par des enseignes de premier plan comme L’Express – nul n’a le droit affirmer de façon péremptoire et définitive que François Ruffin votera pour Emmanuel Macron au second tour de la présidentielle.
  • Certes, les propos de François Ruffin pourraient laisser supposer – notamment à qui voudrait l’entendre – que son vote ira probablement à Emmanuel Macron (“voilà ce que je ferai sans doute”). Pourtant, je vous invite à un exercice. Mais cet exercice, on ne peut s’y prêter que quand on a un esprit libre et dégagé des effets toxiques de la bien-pensance. Réécoutez les propos et relisez le texte de François Ruffin en imaginant qu’il sous-entende qu’il pourrait voter blanc. Voire qu’il pourrait voter pour Marine Le Pen. A mon sens, aucun de ses propos n’est incompatible avec ces hypothèses, que j’ai formulées à dessein au conditionnel. Notamment ce propos :

J’ai oeuvré de mon mieux pour nous éviter ce dilemme entre la peste et le choléra.
Mais nous y voilà : la peste ou le choléra.
Et oui, malgré moi, en mon âme et conscience, je choisis.

Choisit-il la peste ou le choléra ? Si vous avez la réponse, laissez un message en commentaire…

Cette tribune, François Ruffin l’a publiée sur son compte Facebook. Parmi l’ensemble des commentaires des internautes, celui-ci a retenu mon attention. C’est, à mon sens, le plus pertinent, et il témoigne d’une (rare) lecture libre, critique, et intelligente de tout ce qui a été écrit sur ce sujet. Peut-être, ou peut-être pas en fait.

Commentaire Facebook François Ruffin

  • Et pour finir, j’attends avec impatience que les Décodeurs du journal Le Monde, ces nouveaux maîtres de la pensée qui jugent de ce qui est vrai ou pas vrai, examinent et jugent – en toute impartialité – la façon dont les propos de François Ruffin ont été retranscrits dans les médias. Allez, je leur facilite le travail : ils ont le droit de copier/coller mes propos, sous réserve évidemment de faire pointer un lien vers l’article original…

Post-Scriptum : dans un souci d’honnêteté intellectuelle, je tiens à préciser que certains medias ont fait preuve d’un peu plus d’objectivité. Par exemple L’Obs, qui fait partie des rares à avoir orthographié correctement le verbe glisser au conditionnel. Mention spéciale aussi à Francetvinfo.fr, qui a utilisé des formules traduisant la subtilité du conditionnel employé par François Ruffin (“François Ruffin laisse entendre que..”, “la teneur probable de son vote”,”il le fera vraisemblablement quand même”).

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